Dans Blind, tout est au conditionnel, car le challenge du film est de placer l’audience dans la peau d’une aveugle qui ne "se soucie plus de ce qui est réel tant qu’elle parvient à le visualiser". Chaque scène est ainsi l’occasion d’une trouvaille de mise en scène ou de scénario visant à véhiculer une narration que l’on pourrait qualifier de "sensorielle". Eskil Vogt fait preuve de beaucoup d’humour et d’inventivité à cet égard. Ce côté ludique apporte une belle légèreté à ce qui demeure avant tout un drame, celui de la désintégration d’un couple et d’une femme isolée par son affliction. Le réalisateur embarque l’audience dans une expérience qui se transforme subtilement en autre chose qu’une narration classique.
Grâce à la photographie de Thimios Bakatakis et un travail d’orfèvrerie sonore auquel contribuent les compositions de Henk Hofstede, Blind installe un sentiment de flottement où le spectateur n’a d’autre choix que de se laisser guider par la voix off qui le mènera en bateau. Si le film est parfois cru et terre à terre (les scènes pornographiques sont la meilleure illustration de cet aspect), il n’en demeure pas moins intelligent et ultra référencé lorsqu’il s’agit de citer tant la poésie norvégienne que la pop culture à laquelle la pornographie appartient de toute façon. Blind possède aussi cette froideur scandinave que l’on retrouve jusque sur les traits du faciès de l’actrice principale, belle, mais étrange. Un excellent choix de casting qui confirme tout le potentiel de Ellen Dorrit Petersen.
Domenico La Porta – Cineuropa.org